Au fond de la matière pousse une végétation obscure.
Dans la nuit de la matière fleurissent des fleurs noires.
Elles ont déjà leur velours et la formule de leur parfum.
Dans son "Essai sur l'imagination de la matière, L'eau et les rêves" (Éditions José Corti, Livre de poche, 1993), Bachelard se propose d'aller à la racine même de la force imaginante… les images de la matière on les rêve substantiellement, intimement en écartant les formes, les formes périssables… On retrouve dans l'œuvre peint de Noël Pasquier cette recherche fondamentale, cette poétique de la matière que les philosophes de l'antiquité grecque ramenaient aux principes des quatre éléments : l'eau, l'air, la terre et le feu, que Bachelard considère comme toujours valables et qu'il pense sous la domination du rêve.
C'est dans cette voie des racines de l'imagination de la matière que l'on cerne le mieux la démarche créative de Noël Pasquier. D'abord figuratif, il s'achemine progressivement vers l'abstraction, mais celle-ci reste toujours ancrée dans une expérience existentielle des éléments d'un paysage, on peut parler à son propos de paysagisme abstrait. Il commence à produire à la fin des années cinquante, période où l'abstraction lyrique est encore dominante. Celle-ci s'est développée simultanément des deux côtés de l'Atlantique pour donner l'Abstraction lyrique de l’École de Paris ou encore l'Art informel et l'Action Painting américaine.
Le lyrisme revendiqué par ces mouvements : expression des émotions, improvisation, vitesse, participation intense du corps, voulait réagir à la froideur intellectuelle de l'abstraction géométrique d'un Mondrian qui avait triomphé avant-guerre avec le mouvement De Stijl.
La découverte de l'inconscient par Freud et ses applications à la méthode psychanalytique influence les surréalistes qui trouvent dans l'écriture automatique une possibilité d'explorer cet imaginaire primitif, cet inconscient où le corps, le geste spontané jouent un rôle primordial ainsi que les rêves. Les rêves de l'enfant sont la plupart du temps de nature organique.
L'écriture gestuelle permet l'improvisation sous la domination de l'émotion, elle est effusion ou envolée lyrique. Elle n'est pas sans rapport avec les expériences des surréalistes sur le dessin automatique.
Après la deuxième guerre mondiale, l'Europe avec l'occupation américaine découvre massivement le jazz, symbole d'une liberté retrouvée, d'une joie de vivre mise à mal par la répression nazie. La double formation de Pasquier, à la fois musicale (pianiste, organiste) et picturale - il a longtemps hésité entre les deux carrières - lui ouvre des possibilités qui le mèneront à la recherche d'un Art Total. Dans les années 67-70, il créera un Festival d'Art Total.
C’est alors qu’il côtoie Serge Gainsbourg, à l'époque où ils bénéficient l’un et l’autre d’ateliers à la Cité Internationale des Arts de Paris, et s'adonne avec ses amis musiciens à des improvisations picturales au son du jazz. Il reprend cette pratique de nombreuses fois, notamment en 2006, au Centre Georges Pompidou, pour la Nuit de la Poésie (peinture, musique, danse et poésie) où il improvise, face au public, sur un support translucide tandis que sont lus des poèmes de Georges-Emmanuel Clancier et d’une trentaine d’écrivains.
Revenons à cette poétique de la matière, caractéristique de l'art de Pasquier. S'il est possible de l'examiner en fonction de la classification des philosophes grecs selon les quatre éléments, il semble que l'eau, vu ses thèmes se rapportant le plus souvent à la mer, soit l'élément prépondérant. Né sur les rivages de la Méditerranée, il a fréquenté aussi intimement ceux de l'Atlantique et particulièrement de la Bretagne : une maison familiale dans le Finistère, dénommée À fleur d'eau, abrite ses rêves d'enfant et d'adolescent, et lui permet encore aujourd’hui de se ressourcer. Cette expérience sera essentielle dans le choix de ses thèmes et l’une des sources de son style.
Quand j'étais enfant, dit-il, j'inventais ce bleu de la mer, ce blanc de l'écume des vagues et des ailes des oiseaux…
On rêve avant de contempler, disait Bachelard. Avant d'être un spectacle conscient, tout paysage est une expérience onirique.
Extrait du catalogue du Centre d'Arts Plastiques de Royan, disponible à la vente à partir du 11 juillet